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Point de vue - Les mathématiques au service du projet de territoire ?

Point de vue - Les mathématiques au service du projet de territoire ?
Crédit photo : Vincent Rustuel

C+10 = C-10 x txpr –[(15 % envFMR) + (30 % envPenvR)]

Le ZAN réduit-il notre capacité d’action à de la mathématique ? Le calcul du nombre d’hectares susceptibles d’être consommés jusqu’en 2030 nous fait-il oublier les raisons pour lesquelles nous devons les consommer ?

Une consommation trop importante

Les chiffres sont désormais connus : près de 20 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers ont été artificialisés de 2009 à 2018 en Normandie, soit six terrains de football par jour environ. Les chiffres sont d’autant plus durs lorsqu’on les met en perspective avec la démographie. Avec 6,2 ménages accueillis par hectare artificialisé entre 2012 et 2017, la Normandie est l’avant-dernière région qui accueille le moins de nouveaux ménages en France par hectare artificialisé. Au-delà du chiffre, les conséquences de l’artificialisation sont souvent irréversibles : altération des sols, érosion de la biodiversité et des capacités agricoles, fragmentation des espaces, banalisation des paysages et coûts directs et indirects de l’étalement urbain, notamment en matière de services publics.

Une loi régulatrice et arithmétique de la consommation du foncier devait donc arriver (cf. la loi Climat et résilience d’août 2021). Elle s’inscrit dans une longue trajectoire engagée en décembre 2000 avec la loi Solidarité et renouvellement urbain. Elle installe une rupture dans les pratiques de production des documents d’urbanisme depuis la loi d’orientation foncière de 1967. Il aura cependant fallu une seconde loi en juillet 2023, dite ZAN, et ses décrets pour éclaircir certains aspects (gouvernance et règles de calcul), tout en ajoutant une complexité avec la garantie rurale. Quelle que soit la lecture des lois et décrets, il faut faire mieux avec moins.

Une lutte contre la consommation foncière déjà à l’œuvre

Le rythme d’artificialisation a baissé de plus de 20 % en 10 ans en Normandie et dans notre grand estuaire. La conscience des conséquences de l’étalement urbain, financières pour les ménages notamment, l’évolution des marchés immobiliers et l’instabilité des taux d’intérêt y participent. Mais sans aucun doute, l’efficience des documents d’urbanisme a également infléchi la courbe de consommation foncière. Il s’agit « juste » d’être, collectivement, encore plus rigoureux et efficaces. Les leviers sont identifiés et les outils locaux quasiment tous disponibles (considérant ici que les réponses fiscales et sociétales relèvent du niveau national). Les sites d’application sont également définis : quartiers à densifier, friches urbaines, industrielles et agricoles à recycler, logements vacants à reconquérir, espaces à renaturer, bâtiments à surélever,... Le ZAN aura au moins eu l’avantage de mettre le projecteur sur ces secteurs délaissés.

Chaque territoire recense actuellement les actions et programmes qui font démonstration du « ZAN avant l’heure ». Dans leur livre « Réparons la ville », Christine LECOMTE, architecte et présidente de l’ordre national des architectes, et Sylvain GRISOT, urbaniste, nous disent que 80 % de la ville de 2050 est déjà là. Des réponses sont donc disponibles. Dupliquons-les intelligemment, et pour les 20 % restants, innovons avec de nouvelles pratiques, de nouveaux modes d’aménager, voire d’habiter.

Un ZAN porteur d’optimisme ?

Et si le ZAN et son casse-tête mathématique donnaient l’occasion de réfléchir autrement ?

En se projetant sur le temps long d’abord : la loi Climat et résilience donne trois décennies pour la mise en œuvre de l’objectif zéro artificilisation nette. Autant de temps pour explorer plus précisément les capacités du territoire à se renaturer. Au-delà de la notion de compensation et des « droits à artificialiser » qu’elle va offrir, la renaturation doit redessiner les paysages du territoire et mettre la biodiversité au cœur de nos réflexions.

En dézoomant ensuite : là où le ZAN se calcule à la parcelle, les ambitions territoriales s’imaginent à l’échelle des bassins de vie ou de mobilité. Les SCoT et PLUi doivent retrouver leur place dans cette réflexion. L’inter-SCoT permettrait d’être encore plus efficace. Le grand estuaire de la Seine n’offre-t-il pas cet espace de dialogue ?

Dans nos pratiques enfin, pour aider à l’émergence des projets au croisement de la modération foncière et de l’envie politique légitime de promouvoir son territoire. Les projections démographiques nous y obligent. La Normandie est sans doute la première région de France à devoir gérer cette trajectoire. Le projet politique peut-il s’affranchir d’une réalité statistique ? Assurément non. Pour autant, ces projections dictent-elles les ambitions d’un territoire qui croit en son industrie, son tourisme, sa biodiversité, sa ruralité et son agriculture et se donne les moyens de les développer (peu de territoires offrent cette diversité d’attractivité) ? Encore une fois, assurément non.

Repositionnons le projet au cœur de la réflexion ! Soyons inventifs pour n’être comptables que des ambitions et des réussites du territoire.

 

Frédéric BEZET, Directeur général adjoint

Source de l'article : rapport d'activité 2023 de l'AURH




 Juillet 2024